Si l’intersectionnalité est traditionnellement mobilisée pour analyser la convergence des oppressions systémiques, elle permet aujourd’hui de saisir un autre phénomène : la convergence des discours de haine. On peut ainsi parler d’une « intersectionnalité de la haine », concept forgé en 2016 par l’essayiste afro-américain Rembert Browne¹ à la suite de l’élection de Donald Trump. Le président américain, en amalgamant sexisme, racisme, islamophobie, homophobie ou encore antisémitisme, a donné naissance à un discours politique où les haines ne se juxtaposent pas simplement, mais se nourrissent et se renforcent mutuellement. Ce phénomène, loin d’être isolé, s’est propagé à travers le monde, notamment en Europe participant à l’érosion du débat démocratique et au renforcement des clivages sociaux et politiques.
Ce mécanisme n’est pourtant pas nouveau. L’historienne Christine Bard² rappelle qu’au sein des mouvements fascistes de l’entre-deux-guerres, l’antiféminisme marchait main dans la main avec l’antisémitisme et la xénophobie. Aujourd’hui, cette rhétorique réapparaît sous une forme modernisée, dans les discours populistes où les « hommes blancs hétérosexuels » sont présentés comme les nouvelles victimes d’un prétendu ordre social inversé, dominé par les minorités : femmes, personnes LGBTQIA+, Juif·ve·s, migrant·e·s… Cette stratégie d’inversion des rapports de domination délégitimise les politiques d’égalité et ravive la peur d’un monde en mutation, menacé par l’émancipation de celles et ceux qui n’étaient jusque-là ni visibles, ni écouté·e·s.
Mais le plus inquiétant est que ce discours ne se limite plus à l’extrême droite. En Belgique, cette logique de division s’infiltre dans le cœur même du pouvoir. L’exemple de la coalition fédérale Arizona (CD&V, Engagés, MR, N-VA & Vooruit) est à cet égard révélateur. L’accord de gouvernement prévoit une attaque frontale contre les droits fondamentaux des réfugié·e·s et demandeur·euse·s d’asile : réduction de la capacité d’accueil, intensification des expulsions… Et ce, malgré les plus de 10 000 condamnations³ de la Belgique pour non-respect de ses obligations en matière d’accueil au cours des trois dernières années.
Et ce n’est pas tout. L’accord prévoit aussi de limiter les allocations de chômage à deux ans⁴, une mesure qui frappera durement les personnes déjà précarisées, notamment les familles monoparentales majoritairement féminines. Enfin, dernier coup porté à l’égalité : le financement d’ Unia, institution-clé dans la lutte contre les discriminations, sera amputé de 25 %⁵. Comment prétendre lutter contre les discours de haine, quand on réduit sciemment les moyens alloués à ceux qui en sont les premiers remparts ?
Nous sommes à un moment charnière. Alors que les rhétoriques haineuses et de rejet s’entrelacent et se répandent, que des droits fondamentaux sont fragilisés par celleux-là même qui devraient les protéger : nous n’avons pas le luxe de l’indifférence. Face à cette mécanique bien huilée d’exclusion et de stigmatisation, il nous revient de résister et répondre avec l’intransigeance de la justice, avec la puissance de la solidarité et avec la force du nombre !
Solidairement vôtre,
Léa Monzibila & Françoise Kemajou
¹ How Trump made hate intersectional (Intelligencer, 09 Novembre 2016)
²L’inquiétant regain du masculinisme, cette pensée réactionnaires aux origines millénaires (Le Monde, 13 Avril 2024)
³Politique de non-accueil : état des lieux (Caritas International et al., 18 mars 2025)
⁴Accord « Arizona » : recul préoccupant pour les droits sociaux et droits des étranger·ères et tournant sécuritaire confirmé (Ligue des droits humains, 2 février 2025)
⁵Moins de moyens pour Unia, plus de discriminations ? (Ligue de l’enseignement et Education permanente, 10 mars 2025)